La ministre de la Culture a annoncé, vendredi, l'ouverture prochaine des "enquêtes judiciaires" de la guerre d'Algérie avec quinze ans d'avance. 

C'est une annonce qui s'inscrit dans la politique de réconciliation mémorielle initiée par Emmanuel Macron.

 

La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a annoncé, vendredi 10 décembre, la prochaine ouverture des archives sur "les enquêtes judiciaires" de la guerre d'Algérie (1954-1962), près de soixante ans après l'indépendance, et alors que la relation franco-algérienne est en crise depuis des mois. "J'ouvre avec quinze ans d'avance les archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police qui ont rapport avec la guerre d'Algérie", a-t-elle déclaré sur BFMTV. 

"Je veux que cette question – qui est troublante, irritante, où il y a des falsificateurs de l'histoire à l'œuvre –, on puisse la regarder en face. On ne construit pas un roman national sur un mensonge", a argué la ministre sur la chaîne d'info en continu. Selon Libération, "la décision annoncée par la ministre de la Culture doit être mise en œuvre par le biais d'un arrêté, et ces archives pourraient donc être ouvertes dès l'an prochain."

Pourquoi cette déclassification des archives est-elle si attendue ? Eléments de réponse. 

Parce qu'il y a un enjeu historique

Si l'histoire de la guerre d'Algérie est en grande partie connue, il reste beaucoup de zones d'ombre. Un exemple parmi d'autres : celui des disparus. "Des dizaines de milliers de personnes ont disparu durant la guerre d'Algérie. De nombreuses familles ne savent pas dans quelles conditions leur proche a été exécuté ou enterré", explique à Ouest-France Pierre Mansat, président de l'Association Josette et Maurice Audin, qui milite pour la reconnaissance des crimes coloniaux. "Il y a beaucoup de choses à mettre au jour sur ce plan-là et les archives sont essentielles." 

Linda Amiri, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Guyane, assure, toujours auprès du quotidien régional, qu'il y a également beaucoup à apprendre sur "'les ratonnades' en Algérie qui furent nombreuses" mais aussi "les lieux d'enfermement divers et variés, officieux et officiels" et sur "la 'Main rouge'", une organisation française secrète qui a commis des attentats en Europe et en Afrique du Nord dans les années 1950.

La déclassification des archives permettra-t-elle d'en savoir plus sur tous ces aspects ? Nul ne le sait. Mais, selon Françoise Banat-Berger, cheffe du service interministériel des archives de France, interrogée par Libération, "ce sont des dossiers liés aux nationalistes algériens, aux partisans de l'Algérie française, à l'Organisation de l'armée secrète (OAS). Ils concernent des faits commis en Algérie et en métropole." D'après le quotidien, "cette dérogation générale concernera des affaires ayant fait l'objet d'une enquête de police, et portées devant des juridictions. Des documents rattachés aux archives départementales, nationales, au Quai d'Orsay, aux Armées ou à la Préfecture de police de Paris pourront ainsi être consultés."

Parce qu'il y a un enjeu de réconciliation des mémoires

La connaissance des faits, donc la possible réécriture de l'histoire permettra aussi de réconcilier les mémoires. "C'est la falsification qui amène toutes les errances, tous les troubles et toutes les haines. A partir du moment où les faits sont sur la table, où ils sont reconnus, où ils sont analysés, on peut construire une autre histoire, une réconciliation", a justifié Roselyne Bachelot sur BFMTV.

"La mémoire peut trahir alors que les faits sont irréfutables", avait assuré à franceinfo le politologue Kader Abderrahim, après la décision d'Emmanuel Macron annoncée en mars dernier de faciliter l'accès aux archives classifiées de plus de 50 ans, notamment celles sur la guerre d'Algérie. "Ils permettent d'entrevoir la construction d'une histoire commune qui pourrait rapprocher les deux pays sur cette construction mémorielle et non pas sur cette exploitation mémorielle idéologique et instrumentalisée." 

"Il y a beaucoup de gens, notamment en Algérie, qui continuent à faire de cette histoire le fonds de commerce d'un régime qui n'a pas beaucoup de légitimité." Kader Abderrahim, politologue à franceinfo

"L'histoire est l'histoire. Elle est la trajectoire humaine et c'est à partir de cette trajectoire que l'on peut tenter de tracer des perspectives pour l'avenir", avait encore affirmé le politologue. 

Parce qu'il y a un enjeu diplomatique

Cette déclaration de la ministre de la Culture permettra-t-elle d'apaiser les relations entre Paris et Alger ? Elle intervient en tout cas deux jours après la visite à Alger du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, pour tenter de désamorcer une crise d'une rare gravité entre les deux pays, en cours depuis plusieurs mois. "Nous souhaitons que le dialogue que nous relançons aujourd'hui puisse conduire à une reprise des échanges politiques entre nos deux gouvernements en 2022, au-delà des blessures du passé que nous devons regarder en face, au-delà des malentendus qu'il nous revient de dépasser", avait déclaré le ministre à la presse après avoir rencontré le président Abdelmadjid Tebboune.

En octobre, Emmanuel Macron avait notamment déclenché l'ire d'Alger en accusant, selon des propos rapportés par Le Monde, le système "politico-militaire" algérien d'entretenir une "rente mémorielle" autour de la guerre d'indépendance et de la France. L'Algérie avait alors rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français ralliant le Sahel.

francetvinfo.fr/monde/afrique/algerie/Publié le 10/12/2021

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